Le Décor lentement se plonge dans le noir. La lune, rouge sang, pleure son agonie. Tout en bas sur la terre, le brouhaha s’estompe, les mouvements se figent. Une abeille perdue se pose sur un jonc, avant de disparaître dans les roseaux voisins. Elle vit le ciel d’avant, sa place n’est pas ici. Elle le sait, elle le ressent surtout, c’est pourquoi elle s’efface. De ce temps dépassé il ne reste plus rien. Plus d’ombres, de visages, de soucis et de morts. Plus qu’un grand trou béant qui a pour nom : Abime.
Le moment est magique, La Terre toute entière se dilue dans l’espace perdant en un instant l’éclat de sa splendeur. Une beauté parfaite la supplante, tout comme un Univers nouvellement crée. Une myriade d’anges étire le bleu drapé du ciel nouveau, lissant le moindre pli, chassant l’infime tache, et plaçant chaque étoile tissée sur l’écheveau. Une sphère neuve à l’aspect flamboyant se met en mouvement. Des chérubins en armes attisent ses ardeurs, pour le bien de leur Roi, aux ordres de l’Amour. Ils seront à jamais les gardiens de ce monde, de ce nouvel espace et sa terre nouvelle sur laquelle leur Souverain vient bâtir son palais.
En l’instant, tout prend place, chacun est à son poste et s’affaire consciencieusement pour réussir l’ouvrage. Le banquet se prépare, l’orchestre prend sa place et jusqu’aux sentinelles qui doublent d’attentions. Sur le chemin de ronde le guetteur s’impatiente, près de lui les archers préparent les honneurs qu’ils rendront aussitôt l’invité arrivé. Les hérauts sont figés, étendards relâchés. Sur le perron lustré Mr Le Chambellan toussote sur son poing. Le silence est pesant, l’attente langoureuse, quand soudain tout s’éclaire dans l’éclat détonnant jailli de cent trompettes. Le voici, le voilà, notre invité arrive : « La Reine est en approche ».
Une image de rêve, Une Reine de gloire, sous le couvert soyeux de voiles et de fleurs, annonce sa venue. Elle remonte du Sud, sous les raies irisées de l'arc de son triomphe. Son pays est un rêve, c’est un Eldorado, là où la vie s’enflamme d’attraits incontrôlés, d’atolls subliminaires aux lagons émeraudes, de rivages déserts que les vagues en dentelles s’en viennent caresser. Là où le sable est blanc et crisse sous les pieds où les grands cocotiers assouplissent le cou, afin de se mirer dans l’eau pure et iodée, d’un océan azur.
C’est à dos d’éléphant qu’elle avance vers lui. Elle emplit sa vision, se pare de mirages, étale ses soieries, son or et ses diamants, dans un pot pourri de senteurs que l’encens évapore et, sublime oh combien, l’image se confine, dans le dessin unique du charme d’une vie.
L’œil, ébloui au travers de l’éther, a saisi le moment. Autour de lui, des milliers de lucioles allument leurs lanternes, pareilles à des fées. Une nuée d’oiseaux multicolores éclate de concert. L’instant est à son comble, il touche au paroxysme. C’est justement celui que le Roi veut garder. Il tient à cette image qu’il vêt d’éternité. L’Amour qui le dirige perçoit son appel et va lui rendre hommage. Dans sa grande bonté, il fixe cette scène pour un long temps sans temps qu’il offre à jamais à l’élu de son choix. Telle est sa puissance, telle est la féerie qu’un seul regard a déclenchée.
Le Roi épouse sa Reine et, comme il est dit dans les contes, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Telle est la vie des contes, telle est celle du rêve qui est une réalité ailleurs que la réalité, tout juste à ses cotés, mais sur un autre plan.
Un arbre, un seul arbre maintient en nous la féerie. Il est arbre de vie, il est celui du rêve. Il représente la puissance, son épine dorsale que maintiennent active les immortels à son service. Ses fruits sont mirifiques tout autant que magiques. Ils offrent le savoir, l’intelligence et la vision, la clairvoyance et l’émotion. Les voir suffit amplement pour apprécier le goût. Si l’on touche à ces fruits, c’est le rêve qui se brise dans le corps de la vie, celui de nos fantasmes et de nos cauchemars. C'est la malédiction qui choit sur notre tête, par la croix érigée pour crucifier le rêve. Cela est impossible dans La Foi de l'Esprit, car c’est elle justement, l'autre face de la croix, celle de la vie. Quand l’un des corps est chair, l’autre est vêtu de rêves