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 LA DAME DE LA CAFÉT

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2 participants
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Bernard

Bernard


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Date d'inscription : 26/09/2005

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MessageSujet: LA DAME DE LA CAFÉT   LA DAME DE LA CAFÉT Icon_minitimeDim 16 Oct - 4:24

LA DAME DE LA CAFÉT



…Ces deux corps se séparent
Et en se séparant
Ces deux corps se déchirent
Et je vous jure qu’ils crient…

Jacques Brel


« Non ! J’veux pas qu’ tu meures ! …
- Mais moi, sans toi je ne peux pas vivre. Tu es ma vie, je te respire, je te dévore, je t’envahis pour mieux renaître à chaque fois. Tu es ma source, mes béquilles, ma chaleur, mon bonheur…
- Je sais, toi aussi tu es tout pour moi. J’ai aussi ton amour dans la peau… Je pars loin mais je vais trouver des solutions, je te le promets, la France n’est pas si grande que cela, tu verras, on se retrouvera, c’est promis, c’est juré ! …
- Si tu m’aimes, pourquoi tu pars, alors ?
- J’ai une femme, des enfants, je veux les préserver… Tu comprends cela au moins ? Pour mon travail, on me propose ce poste, je ne peux pas le refuser… J’aurais la possibilité de venir, j’aurais des réunions, des séminaires qui me permettront de me rapprocher de toi.
- Tu dis cela maintenant mais j’ai tellement peur que tout se brise avec la distance, notre histoire est si belle, si pure, si merveilleuse… Dis, tu ne peux pas me faire ça ! …
- Écoute, je t’aime comme un fou, je te le dis et le redis sans cesse mais j’ai aussi mon autre vie ; mes enfants, je ne peux pas les gommer de mon existence, j’ai besoin d’eux aussi.
- Mais moi, j’ai besoin de toi… Si tu pars, je me suicide ! …
- Arrête ! … Tu me l’as déjà dit tout à l’heure. Nous avons encore de la tendresse à vivre ensemble. Nous nous verrons le plus souvent possible. Pense à ce que nous éprouvons actuellement, toujours nous cacher pour nous aimer. Confinée dans cet espace restreint, notre passion s’étouffe. Je ne serais plus dans cette ville, nous nous retrouverons pour exposer notre amour au grand jour loin de ma famille… Il faut essayer, il faut y croire…
- Tu parles comme un lâche. Ah oui ! … Tu auras le beau rôle. Tu auras ton petit confort, ta petite maison, ton petit jardin… Tu verras grandir les tiens dans une région que tu ne connais même pas et de temps en temps, tu viendras me voir, moi, ta maîtresse pour te changer les idées, pour te dépayser un petit moment. Tu crois que c’est cela l’amour ? … Tu n’as jamais voulu divorcer, trouvant toujours des excuses ; tu as besoin de ton bien-être, de ta sécurité, de ta tranquillité … Et tu dis que tu m’aimes… Tu crois que l’amour, c’est ménager la chèvre et le chou en permanence ! …
- Je comprends ta réaction, je sais parfaitement que cela va être dur, très dur même, mais pour moi aussi. Si j’étais vraiment égoïste, je te dirai que je te plaque ! … Mais non, je veux sauver les sentiments profonds qui nous unissent. Je ferais tout ce que je peux pour être près de toi… Laisse-moi un peu de temps. Je vais m’organiser…
- S’il te plaît, fais un effort d’imagination ! … Pense à ce que je vais devenir loin de ton corps, loin de ta peau.
- J’y ai déjà pensé, figure-toi ! … Je ne veux pas t’abandonner. Il faut que tu sois forte et nous allons y arriver…
- Ah oui, moi je dois être forte ! … Mais je suis trop tendre, trop douce, trop faible, trop soumise. Trop, trop, trop ! … Notre vie, ce n’est pas du cinéma, ce n’est pas un roman de hall de gare ; ma vie, elle est là, elle palpite, elle vibre, elle est aérienne à tes cotés…
- Mon amour, Lyon, ce n’est pas le bout du monde ! …
- Ce n’est pas le bout du monde, non, bien sur. Et Béthune, c’est quoi pour toi, hein ? … C’est le trou du cul du monde, hein ! Dis-moi ? !… »

* * *


C’est l’heure de pointe à la cafétéria. Les gens s’engouffrent, pressés. La pause de midi ne laisse pas beaucoup de temps pour manger. Il faut faire vite, choisir un plat sans grande conviction, le regard rivé sur les étiquettes. Quelques gestes saccadés, petite bousculade, la tête ailleurs. Le moment du repas, ce n’est pas le farniente ! … Pas de possibilité de rêver avec ce bruit incessant tout autour. Et la musique, est-ce de la musique ? … Insipide, débitée en tranches de trois minutes, rythmée pour permettre l’accélération de la mastication. La machine alimentaire est en marche ; elle est bien huilée, elle tourne au maximum malgré d’infimes défaillances quand quelques personnes restent debout, le plateau à la main, à la recherche d’une place libre.

Et dans tout ce brouhaha, elle rêve. Elle rêve tout en tapant d’un geste machinal sur les touches de la caisse enregistreuse. Elle ne regarde pas les clients. Les clients le lui rendent bien. On n’est pas là pour se faire des politesses. Elle est là pour gagner sa croûte. Elle n’est pas dans son assiette… Un jeton pour le café, un ! … Merde, celui-ci vient de rouler sous sa chaise. Elle doit se lever, le récupérer, se remettre à sa place, s’excuser… Déjà, des soupirs d’agacement s’échappent de la file.

C’est le quotidien poisseux d’une caissière qui se dévide. Dans le mouvement accéléré de son travail à la chaîne, sa vie intérieure est au ralenti, engluée, incertaine. Sa vie, la vraie, elle est ailleurs, loin d’ici ; elle est tournée vers celui qu’elle aime plus que tout, celui qui s’est évadé, qui est parti voguer vers d’autres eaux, qu’elle attend toujours. Ses pensées se concentrent vers cet amant aux yeux si doux qui lui a câlinée l’âme, qui s’est incrusté dans sa peau. Mais son absence est une plaie béante d’où s’échappent des torrents d’amertume. Collée à son siège, elle distingue le ballet incessant de ses doigts martelant frénétiquement les touches pour enregistrer les plats posés sur les plateaux. Ils s’activent pour prendre les billets, rendre la monnaie. Le petit sourire factice qu’elle offre aux clients s’immobilise parfois sur la tête d’un enfant ou d’un bébé, puis s’évapore soudainement. Elle pense, elle pense… Elle pense à l’homme qu’elle aime. Elle se rappelle le début de leur histoire…

* * *


« Excusez-moi, je peux me mettre à votre table ? Il n’y a plus une place de libre.
- Oui, bien sûr…
- Merci… Vous travaillez ici ?
- Oui… Vous venez souvent, je vous vois prendre toujours le même plat… Vous aimez beaucoup les andouillettes…
- Ah ! Euh, ben oui… Ma femme les a en horreur, alors je me rattrape ici ! … C’est pas marrant le métier de caissière, hein ? …
- Pas trop, non ; pas le temps de discuter, faut toujours aller vite sauf au début du service, vers 11 heures.
- Moi, je viens plus tard.
- Je sais.
- Ah bon… Mais… Vous surveillez les habitudes de ceux qui viennent manger !
- Euh, non, pas vraiment, cela se fait machinalement…
- Je vous offre un café ?
- Non, je ne le paye pas ! …C’est moi qui vous l’offre.
- Merci…
- J’aime beaucoup vos yeux ! …
- Euh… Merci… là, je me sens gêné…
- Désolée, je suis désolée ; depuis quelques mois, je vous observe… Et vos yeux m’ont toujours fascinée…
- Et bien, dites donc, d’habitude, c’est plutôt l’homme qui drague la femme ! …
- D’habitude, ce n’est pas moi qui drague les hommes ! … Le temps de ma pause est fini…
- Si vous voulez, on peut se revoir, vous me reparlerez de mes yeux… Et un peu de vous aussi ! …
- Je me sens gênée tout à coup… Je ne sais pas ce qui m’a pris de dire cela… Allez, n’en parlons plus ! …
- Trop tard, vous avez fait le premier pas, je fais le suivant. On se revoit quand ?
- Je finis à 17 heures.
- Je vous attendrai…
- Oui, d’accord… Merci ! … »

* * *


Petite rencontre banale qui s’est faite comme cela, par hasard… Enfin, presque… le hasard a bien souvent bon dos ! … Quelques mots échangés et une histoire démarre. Un lien se crée, un lien secret qui commence à se dérouler au creux de l’inconscience. Une petite araignée d’espoir tisse sa toile et les sentiments vont s’y accrocher, s’y entremêler, puis se renforcer ou s’émietter. Un peu de rose aux joues, plusieurs gouttes de sueur, une saveur nouvelle, d’étranges palpitations et la Belle Aventure s’élance. Elle laisse des traces qui s’épanouissent ou …s’évanouissent.

* * *


« Ah, voici ma belle dragueuse ! …
- Dites donc, n’exagérez pas, quand même ! …
- Bon, je vais essayer d’être sérieux ; on va prendre un verre ?
- C’est d’une banalité ! …
- Oui, effectivement, alors choisissez…
- Allons à la ducasse ! …
- À la ducasse ?
- Eh oui.
- O.K.
- Vous aimez monter sur les manèges ?
- Euh, je ne sais pas, je ne l’ai plus fait depuis bien longtemps.
- Alors, vous n’y mettez jamais les pieds ?
- Ben, si, j’y emmène mes enfants.
- Quel âge ont-ils ?
- Huit et cinq ans.
- Ils sont bien petits.
- Vous trouvez… Moi je les vois grandir trop vite…
- Et votre femme ?
- Je ne la vois plus grandir ! …
- Vous êtes idiot ou vous essayez de faire de l’humour…
- Un peu les deux ! …
- Bientôt, vous allez finir par me faire rire.
- Super ! …
- Ça ne vous gêne pas que nous parlions de votre femme et de vos enfants ?
- Non.
- Tant mieux…
- Que voulez-vous savoir d’autre ?
- Vous aimez votre femme ?
- Euh, peut-être.
- Vous n’êtes pas sûr ?
- De moins en moins.
- Elle vous trompe ?
- Détrompez-vous…
- Ah ! … Il me plaît, ce jeu de mots.
- Je ne l’ai pas fait exprès.
- C’est encore mieux comme ça.
- D’autres questions, madame la détective privée ! …
- Pas pour l’instant, vous pouvez vous asseoir, la parole est à la défense ! …
- Vous n’êtes jamais sérieuse ?
- Non… À votre tour de m’interroger…
- Vous vivez seule ?
- Encore une banalité comme celle-ci et je vous laisse…
- J’ai envie d’en dire une autre.
- Je l’accepte, mais c’est la dernière.
- Je vous trouve belle.
- Votre dernière chance est épuisée. Maintenant, je veux de votre part un peu d’originalité.
- J’ai peur de vous décevoir ! …
- Essayez quand même.
- Après le manège, je vous invite chez moi.
- Et votre famille ?
- Elle est au Touquet.
- Alors, le manège, ce sera pour un autre jour !
- Bingo ! … »

* * *


Elle a fini sa journée. Vite, elle passe au vestiaire, récupère son manteau et se précipite pour retrouver la chambre où elle se réfugie pour colmater ses plaies. Trois ans, trois ans qu’il est parti. Depuis, ils se sont vus chaque année pendant une semaine, sept petits jours, pas un de plus. Elle survit grâce à cela. Elle se nourrit le cœur de cette semaine annuelle.

Sur le calendrier mural où elle décompte les jours, une nouvelle petite croix vient se rajouter à toutes les autres… Encore quatre, encore quatre, encore quatre. Comme un leitmotiv lancinant. Dans quatre jours, elle sera dans ses bras. Ses yeux parcourent la dernière lettre toute fripée. Dans quatre jours, elle aura sa semaine de vrai bonheur pour habiller ses souvenirs pendant un an.


Le grand jour est pour demain.

Un message au répondeur.

« J’ai voulu te joindre à la Cafét. C’était toujours occupé. Je suis désolé, à mon travail, nous avons des problèmes informatiques, je ne peux pas prendre ma semaine… Je te rappellerai. Je t’aime… »

À Marie-Françoise


Bernard Pichardie
Marseille, décembre 1999
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Natacha Péneau

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MessageSujet: La dame de la cafét   LA DAME DE LA CAFÉT Icon_minitimeLun 17 Oct - 10:49

J'ai lu avec un grand interet d'une seule traite... c'est pourtant banal, une rencontre qui 'a rien de spéctaculaire et c'est là tout son charme!...Vivante triste dans sa médiocrité et prenante par l'écriture ...
Merci
amicalement
Natacha
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Bernard

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MessageSujet: c'est vrai !...   LA DAME DE LA CAFÉT Icon_minitimeLun 17 Oct - 13:33

merci Natacha ...

c'est une copine qui avait rencontré Marie-Françoise et m'avait raconté son histoire ...
j'ai imaginé les dialogues, changé le cadre, légèrement romancé ...

quelques mois plus tard, je contactais Marie-Françoise, lui envoyais le texte ...
nous nous sommes vus en 2000, puis en 2003, elle m'autorisa à mettre la nouvelle dans mon recueil

amicalement
Bernard
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MessageSujet: Re: LA DAME DE LA CAFÉT   LA DAME DE LA CAFÉT Icon_minitime

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