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 Au début de mes souvenirs

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Natacha Péneau

Natacha Péneau


Nombre de messages : 1684
Date d'inscription : 26/09/2005

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MessageSujet: Au début de mes souvenirs   Au début de mes souvenirs Icon_minitimeVen 30 Déc - 4:36

Au début de mes souvenirs...

Au début de mes souvenirs, je dominais le monde sur les épaules de mon Grand père.
Au dessus de son mètre quatre vingt dix je planais entre ciel et terre.

Avant que je puisse attraper ces souvenirs il y avait ceux des autres et les « on dit... »
« -Sais-tu quel fut ton premier mot ? » me demandait Grand-mère
« Non, je ne m’en souviens pas »
« et bien devine ! »
Comment voulez vous que je réponde à ce genre de questions dont les Grandes Personnes sont tellement friandes et qui ne riment à rien. Devant mon silence Grand-mère finit par me raconter cette histoire pour la dixième fois.
« Nous étions tous penchées sur toi en te suppliant –dis :mama...dis papa...dis baba...et toi tu babillais dans ton langage incompréhensible..areu, areu ... »
« Dés que ton grand père arrivait il te prenait dans ses bras et sortait sa montre de son gousset . Il la faisait tourner lentement devant tes yeux éblouis...Un jour grand père se pencha vers toi et tu lui as dit : « Tchissy, » (montre en russe) Il sortit sa montre et la fit tourner selon son habitude. Tu éclatas de rire disant : « Tchissy, tchissy. » Ce fut ton premier mot et « Diedy , » le suivant... »

Ce que j’ai appris par les souvenirs des autres, c’est qu’autrefois j’avais une famille composée de papa et maman comme tout le monde ... un jour ils se sont séparés; ensuite les souvenirs divergent mais qu’importe les faits sont là...
Maman me garda puis n’ayant plus d’argent pour me nourrir décida de me rendre à papa. C’est la version de ma mère.
Mon grand père est venu me chercher, il me prit dans ses bras, j’avais neuf mois et il m’emmena dans sa maison auprès de grand-mère, mes deux oncles et papa. C’est la réalité à partir de laquelle mes premiers souvenirs se sont greffés .
Ce sont ceux de ma main dans sa main, ma tête sur son épaule la tendresse dans ses yeux bleus et la douceur de sa voix. C’était mon grand père !

Je me souviens de mon chagrin quand Grand-mère pour me taquiner me disait :
« Diedy n’est pas ton vrai Grand père, ton vrai grand père est mort depuis longtemps je me suis remariée avec un autre homme qui était Diedy mais qui n’est pas ton grand père. »
Je ne comprenais rien dans ses histoires de mariage ou de remariage. Je m’enfuyais dans ma chambre pour pleurer en cachette

Ce que je savais très bien depuis ma plus tendre enfance c’est : que Diedy était à moi, à moi toute seule ! Personne pas même Grand-mère ne pouvait me le prendre et qu’il était mon vrai grand père !.

Aux beaux jours, nous sortions ensemble main dans la main. Grand père m’apprenait à parler aux chevaux.
Les charrettes de Javel la Croix étaient stationnées le long du parc d’exposition de la porte de Versailles. Une bonne dizaine toutes attelées de chevaux différents nous passions devant.
Grand père me soulevait pour que je sois à la hauteur des chevaux et me donnait un sucre en m’expliquant à quel moment je pouvais caresser l’animal et comment je devais lui présenter le sucre sur la paume de ma main, pour que le cheval puisse le laper avec ses lèvres râpeuses , ensuite je pouvais l’embrasser entre les deux oreilles et même sur le museau, sa tête était douce comme du velours.

Nous allions souvent au parc d’exposition où Grand père me parlait des fleurs, des arbres, de ceux qui poussaient sur ses terres en Russie, le regard perdu au loin il restait silencieux ; parfois il entrouvrait la porte de ses souvenirs... que n’ai-je tout compris, tout saisi et tout retenu !
Mais j’ai vécu intensément toutes ces minutes avec lui.
Quelques fois grand-mère me donnait un petit panier et nous partions avec mon Diedy de l’autre coté, vers Vanves qui a à cette époque était une grande banlieue qui louait des potagers à des particuliers...
Grand père s’était lié d’amitié avec « un jardinier du dimanche. » Il s’arrêtait devant sa barrière, l’homme lui faisait signe d’entrer. Tous deux s’asseyaient sur un banc et dans un grand silence se passaient la blague à tabac, roulaient leur cigarettes et fumaient en soupirant d’aise, pendant ce temps assise sur une pierre à côté de Grand père je me taisais aussi...
Si vous saviez comme c’était difficile, car j’étais bavarde comme une pie, j’arrivais pourtant à rester tranquille jusqu’au moment où l’homme se levait et nous faisait faire le tour de son jardin.
Ils parlaient français et je ne comprenais pas grand-chose..pour ne pas dire rien !
Pendant ce temps mon panier se remplissait de radis, feuilles de salade et parfois de fraises...Je savais dire : « merci ! » à ce monsieur aux cheveux blancs qui en plus petit ressemblait à mon grand père... J’aimais beaucoup voir pousser les légumes et les fruits.
Cette période de mon enfance fut la plus heureuse.
C’est là que j’ai découvert le monde animal et végétal.
Avec Grand père j’ai également appris à peindre les œufs de Pâques et à coller les guirlandes de Noël...
.
J’ai aussi visité le musée du Louvre installée sur ses épaules, j’étais très impressionnée par les statues qui se suivent dans la grande allée jusqu’à la Vénus de Milo...les statues m’ont confortée dans l’idée que je me faisais des humains, que je divisais en trois sexes, le masculin, le féminin et le neutre. Il était évident pour moi que l’homme à la feuille de vigne était neutre ainsi que grand père, papa et le pope dont j’étais tombée éperdument amoureuse à l’âge de quatre ans !
Dans la langue russe le neutre joue un rôle primordial, je l’ai donc appliqué (sur les) aux humains. En dégradé les neutres étaient les plus gentils, ensuite venaient les féminins, ma grand-mère passait du neutre au féminin suivant nos relations du moment, les masculins étaient nettement de la pire espèce.
Dans mon enfance les tableaux ne m’avaient pas beaucoup impressionnée, par contre les salles égyptiennes étaient de loin mon endroit de visite préféré ...à part le musée du Louvre qui émerge en premier dans mes souvenirs, nous faisions des sorties familiales au Zoo de Vincennes toujours juchée sur les épaules de grand père j’adorais aller visiter les fauves
Pendant que grand-mère s’attardait devant les singes je chuchotais à l’oreille de Grand père :
« S’il te plait, viens voir les tigres. » J’admirais inlassablement ces fauves magnifiques, leur pelage, leur force, la détente et la grâce de leur saut.

Grand-mère s’était chargée de mon éducation, c’était une tache difficile surtout qu’à mon avis elle ne comprenait rien aux enfants de mon âge, elle me dressait à l’image d’un petit singe savant et je lui ai donné toute satisfaction sur ce plan.
Elle pensait que l’éducation consistait à être sévère mais juste, elle était sévère mais juste, non ! elle muselait ses sentiments, était avare de compliments, bref faisait tout ce qu’aurait du faire une éducatrice, mais surtout pas une grand-mère qui en plus avait la prétention de remplacer ma maman !
Pourtant je savais qu’elle m’aimait j’avais entrevu les failles de sa sévérité.
Quant à moi mes sentiments, pour elle, étaient contradictoires par contre je savais très bien que j’aimais mon grand père par-dessus tout..

Tous les soirs je grimpais sur ma table pour voir le coin de la rue. C’est par là qu’il arrivait à 19 heures précises. Je courais à travers tout l’appartement en criant : « Diedy... c’est Diedy qui arrive »
Grand-mère s’affairait dans la cuisine pendant que je courais ouvrir la porte palière l’ascenseur glissait et Grand père apparaissait un sourire aux lèvres pendant que je me jetais à son cou.
« Mon Diedy »
Je lui racontais les événements de la journée pendant qu’il enlevait son manteau et se dirigeait vers la salle de bain, j’entendais grand-mère bougonner :
« Laisse ton grand père tranquille, il est fatigué, tu ne vois donc pas que tu l’embêtes ! »
Grand père se lavait les mains avant de se diriger vers la table de la cuisine. Je ne le quittais pas d’un pas et grimpais sur sa chaise derrière son dos, j’avais le droit d’y rester jusqu’à ce que ma grand-mère lui eut servi la soupe...alors, j’allais m’asseoir en face de lui à l’autre bout de la table.
Entre temps mon père et mes deux oncles prenaient leur place habituelle. Grand-mère servait les assiettes tendues vers elle.
C’était le début du repas je devais me taire c’était la règle d’or, je la respectais, j’avais été dressée pour cela !
Les grandes personnes parlaient entre elles j’écoutais de toutes mes oreilles ne comprenant pas tout mais essayant d’assimiler le maximum... Jusqu’au moment où Grand père m’appelait je grimpais à nouveau derrière sa chaise.
Les hommes s’éparpillaient vaquant à leurs occupations, grand-mère pouvait enfin s’asseoir pour avaler en vitesse un diner probablement tiède ou froid, tout en parlant à Grand père des problèmes de la vie courante qui devait être difficile, mais elle ne se plaignait jamais...
Quant à moi je jouais au coiffeur m’escrimant sur les cheveux de mon Diedy ...quand j’y pense maintenant ...Comment pouvait-il supporter que je lui tiraille les cheveux de cette façon...
Après un temps de réflexion grand père donnait un avis ou hochait la tête puis se levait.
Je lui tendais ma main et nous allions dans sa chambre. Il prenait un livre et s’installait commodément pendant que je me blottissais contre lui ...
Toutes les premières années de ma vie furent bercées par ces soirées immuables où j’écoutais avec un plaisir sans pareil mon grand père me lire les contes de Pouchkine.
Quand tous les contes furent épuisés :
« que va-t-on lire maintenant ? » me disait il.
« Rousslan et Ludmilla... » lui demandais-je invariablement.
« Mais je te l’ai déjà lu au moins deux fois ! »
« C’est mon préféré, je t’en prie... » mes yeux se faisaient suppliants et grand père cédait.
En lisant sa voix se faisait de plus en plus douce, puis s’éteignait, il me prenait dans ses bras pour aller me coucher car je dormais déjà... parfois je protestais : « je ne dors pas, je ferme juste un tout petit peu les yeux ! »
Sa voix douce reprenait la lecture.

Le lendemain je me réveillais dans ma chambre.
Gand père était parti travailler depuis longtemps.
J’étais la petite fille de ma grand-mère et c’était une toute autre chanson.

Grand père me consacrait le samedi après midi... Le dimanche il y avait beaucoup d’amis qui venaient à la maison et j’étais reléguée dans ma chambre, j’allais jeter un coup d’œil dans le salon mais je ne trouvais rien d’intéressant dans leurs conversations et encore moins quand ils se mettaient à jouer au bridge... je ne connaissais que « la bataille » encore fallait il être deux ou le château de cartes que j’essayais de faire tenir le plus longtemps possible mais il s’écroulait, à mon grand désespoir, bien plus tôt que prévu !
Je n’aimais pas beaucoup les dimanches.
Un samedi matin je glissais ma main, comme d’habitude, dans celle de mon Grand père quand il me dit :
« Maintenant que tu es grande nous ne nous tiendrons plus par la main. »
Mes yeux se remplirent de larmes que je retins aussitôt car je n’avais pas le droit de pleurer !
Le saviez vous que les petites filles dont le papa est un héros de la guerre n’ont pas le droit de pleurer ?
Grand père perçut mon désarroi :
« Mais tu vas me prendre par le bras comme les grandes personnes. » reprit-il rapidement.
Il me tendit le bras aussitôt, mais il était trop grand et moi trop petite...
Alors sans un mot il me reprit la main et je me sentis à nouveau protégée et si bien près de lui.
J’avoue que j’ai eu peur ...même très peur qu’il ne me rejette tout à coup, non je ne veux pas être grande je veux rester la petite fille de mon Grand père....

J’ai vécu une enfance de rêve jusqu’au jour où l’école devient obligatoire.

Ce fut un calvaire, je ne comprenais pas la langue française à part quelques mots qui en occurrence ne me servirent à rien. J’essayais de me sauver plusieurs fois, mais fut rattrapée par les institutrices ou les grandes filles...
Grand-mère n’a pas su me soutenir elle appliqua ses règles, celles de l’autorité :la maitresse avait toujours raison et je n’avais le droit à aucune explication.
Au bout d’un an j’avais appris le français et sauté trois classes.
J’étais de plus en plus malheureuse, je me sentais seule, perdue dans un monde injuste et cruel.
J’ai pris la décision de quitter mes grands parents pour vivre chez ma mère.
Je lui postais une lettre la suppliant de venir me chercher à l’école. Ce qu’elle fit et là je lui demandais de me prendre avec elle.

J’avais huit ans

J’ai quitté mon enfance, j’ai perdu l’affection profonde des seuls êtres qui m’aimaient...
J’ai tout perdu en quittant la main de mon grand père...

Natacha Péneau 22/12/2011


22/12/11
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