LES OISEAUX
De mémoire d'îlien la Mer a toujours tort
Quand ses oiseaux criants se perchent sur nos têtes
Les oiseaux de la Mer accrochés aux tempêtes
Me prennent pour Gama ou pour Adamastor
Voyez mes gens ma muse et mes traînées bouffonnes
J'arrive au son tonnant d'une armée de tambours
J'arrive avec les fous du golfe d'Edimbourg
Et trois cents musiciens dans mon magnétophone
Là-bas sur mes chantiers les calmes alcyons
Les sombres cormorans les vagues pétrels veillent
Sur mon enfant sitôt qu'entre monts et merveilles
Heureux et malheureux je vis mes passions
Les oiseaux de la Mer quelquefois me traversent
Quand je claque du bec sous les feux de la herse
Quand mes ailes froissées vous cueillent des voiliers
Sous les coups du Midi et de ses vieux béliers
Je suis un oiseau de passage
Pris entre deux éternités
Sur les planches de vos cités
Je m'invente des paysages
De mémoire d'archer l'Amour a toujours tort
Quand ses oiseaux frileux se perchent sur les armes
Les oiseaux de l'Amour accrochés à vos charmes
Me prennent pour Tristan et même pour Lindor
Usé désabusé sur mes plus belles pages
Le choeur des rossignols à la longue s'est tu
Ma vieille et haute branche au vent rompt de pendus
Elle qui bourgeonnait sur ma toile à ramages
Voyez dans les décors mes souvenirs jaunis
Pleins de cygnes mourants et de coquecigrues
Les amants accordés aux mandolines crues
Des mendigots du soir et des lazzaroni
Les oiseaux de l'Amour quelquefois me traversent
Quand je claque du bec sous les feux de la herse
Quand mes ailes froissées vous cueillent des serments
Des bouffées de jasmin et des enchantements
Je suis un oiseau de passage
Pris entre deux éternités
Sur les planches de vos cités
Je m'invente des paysages
De mémoire de guet la Nuit a toujours tort
Quand ses oiseaux patients s'endorment sur les grèves
Les oiseaux de la Nuit accrochés à vos rêves
Me prennent pour Musset dans Venise qui dort
Dès lors que je vous vêts de mes habits tragiques
Pour suivre mot à mot de fantasques convois
J'entends dans le lointain un nocturne à deux voix
Et les frémissements des hiboux nostalgiques
Voyez ma soeur voyante et ses voyants dessous
Que ma chauve-souris chiffonne à l'aveuglette
Quand l'accordéoniste essouffle et violette
A votre fantaisie des javas de deux sous
Les oiseaux de la Nuit quelquefois me traversent
Quand je claque du bec sous les feux de la herse
Quand mes ailes froissées vous cueillent des pavots
Des lunes de clinquant et des mondes nouveaux
Je suis un oiseau de passage
Pris entre deux éternités
Sur les planches de vos cités
Je m'invente des paysages
De mémoire d'ancien la Mort a toujours tort
Quand ses oiseaux têtus s'endorment sur les cippes
Les oiseaux de la Mort accrochés à vos nippes
Me prennent pour Van Gogh dans ses bourrasques d'or
Tant que mes charognards lâchaient la croix pour l'ombre
Je mésusais du temps et me piquais de vous
Là je romps les jetées les ponts les garde-fous
Et je vous vois à peine assis dans les décombres
Quand vous touchez du coeur les violons touchants
Tiré à quatre autours dans une aérogare
Je renonce à Satan aux beaux yeux qui m'égarent
Aux folies de la rime aux pompes de mon chant
Les oiseaux de la Mort quelquefois me traversent
Quand je claque du bec sous les feux de la herse
Quand mes ailes froissées vous cueillent cà et là
Des regrets éternels des mauves et des glas
Je suis un oiseau de passage
Pris entre deux éternités
Sur les planches de vos cités
Je m'invente des paysages
Robert VITTON