Pour Marie;
3-
Elle adorait ces nuées d’insectes qu’elle soulevait par journée chaude, en traversant les prés, et puis les merises, qui lui faisaient la bouche barbouillée et sa langue noire, dont les noyaux sont plus gros que la chair du fruit mais qui ont ce goût inimitable et si parfumé ;
Les mures, qui se méritent, car non seulement elles se perchent mais se défendent avec des épines douloureuses !
En raison de leur différence d’âge, Pierre avait quitté l’école bien avant elle. Mais il ne lui manquait pas trop ; C’était un peu comme si le temps était suspendu. Elle le voyait le Dimanche à la messe, et puis, un peu après, et parfois aux fêtes du village et aux veillées, l’hiver.
Elle le savait là, pas très loin, et cette idée la rassérénait
Mainte fois, il lui avait confié cette envie d’étudier. Mais ses parents, métayers, avait besoin de lui.
Elle l’écoutait, buvait ses paroles sans comprendre vraiment.
Elle sentait en lui, une flamme, un désir d’autre chose.
Et puis un jour, il vint vers elle, en courant. Il était excité, parlait fort, il était en sueur.
Il la prit dans sas bras, la fit tourner en la soulevant, comme il faisait souvent, car elle n’était que plume dans ses bras robustes, et lui dit :
« Jeanne, je suis heureux, enfin j’ai pu convaincre mes parents, j’entre au petit séminaire ! »
Elle ne comprit pas, mais elle lui sourit, car il était si beau dans cette joie qui l’illuminait.
Elle n’osa pas lui demander ce qu’était ce séminaire, ce mot lui était étranger mais elle n’aimait pas sa sonorité. Elle eut l’instinct qu’elle devrait se battre contre ce mot.
Elle le laissât partir après l’avoir embrassé. Elle resta un moment, décontenancée, et rentra soucieuse.
L’Oncle avait un beau dictionnaire. Elle lui demanda la permission de chercher un mot.
Elle ne connaissait pas l’orthographe, elle osa timidement, en répétant phonétiquement, ce mot de « séminaire » et il l’aida à chercher. Elle ne comprit pas vraiment. Et alors, il s’écria :
« Ah oui, c’est Pierre, je l’ai su, il entre au séminaire. Ne suis pas surpris, c’est de la graine de curé ! ».
Tout de suite, elle ne réalisa pas. Elle se voyait, enfant de chœur, à côté de lui, à l’église.
Ils seraient ainsi, toujours réunis.
Les mois se succédaient, rythmés par les travaux suivant les saisons.
Elle avait moins de plaisir à aller à la messe. Pierre n’était plus à côté du curé, plus à la sortie.
Elle regardait les vols d’oies cendrées, les merises avaient un goût acide et les mûres se faisaient plus douloureuses.
Elle avait pris l’habitude d’aller prier devant cette statuette de la Vierge, dans ce petit autel à la lisière de la forêt. Elle allumait une petite chandelle, et priait pour le retour de Pierre.
Elle avait grandi. Elle savait qu’un prêtre ne se marie pas, mais il lui semblait que de le voir simplement, de le savoir vivre dans le village voisin, suffirait à lui rendre la sérénité.
Ce soir là, les mures furent ignorées, elles courait, elle courait, à perdre haleine, ses jambes toutes griffées par les maïs coupés,on entendait la cloche du village au loin, qui ne volait que pour elle, elle était exaucée, Pierre était de retour.
Devant la vierge, elle tomba, et avec ferveur, la remercia de lui avoir rendu son ami.
Elle ne voulait rien savoir sinon, qu’il était revenu.
Elle éloignait toute autre idée. Elle allait le revoir, rien d’autre n’avait d’importance.
Elle ne se projetait pas dans le futur, elle en était incapable.
Sam 12 Jan - 9:14
c'est vrai !