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Pierre était revenu du petit séminaire. Il avait été un étudiant brillant et appliqué.
Il avait soif de connaissance. Pas seulement de théologie, la philosophie l’intéressait beaucoup.
Mais il avait souvent été choqué par l’étroitesse d’esprit de ses pères. De plus, il n’arrivait pas à ne pas s’intéresser au monde extérieur.
Néanmoins, doux et respectueux, le Père supérieur l’avait pris en estime.
Il lui avait longuement expliqué, que ce désir de servir Dieu cachait peut être simplement ce désir immense de connaissances, que le petit séminaire seul, pouvait lui offrir en raison de sa condition modeste.
Que le fait de croire profondément en ce Dieu rédempteur et amour ne faisait pas de lui un futur prêtre mais un homme, digne de ce nom, tout simplement.
Que la porte du séminaire lui serait ouverte, mais auparavant, il devait faire une vraie introspection, en toute honnêteté envers lui-même. Il serait toujours là en confesseur et même ami.
Pierre, pendant ces longues nuits de prières et de réflexion, avait pensé à Jeanne.
En jeune homme robuste et bien constitué, il avait des désirs qu’il refoulait.
Souvent, il se réveillait après avoir vu Jeanne dans ses rêves. Jamais des rêves érotiques, mais des songes doux et bleutés, où il donnait la main à Jeanne pour sauter les ornières, où il aidait son amie à monter en haut du chargement de foin, où il la voyait arriver avec son panier où les bouteilles s’entrechoquaient, et son rire cristallin, pur comme son âme.
Pourtant une nuit l’avait vu se réveiller en sueur. Il était honteux, il avait vu Jeanne, sous un orage, sa robe mouillée lui collait au corps et dévoilait sa poitrine naissante. Il avait rejeté cette image et s’était mortifié d’avoir eu cette pensée malsaine.
Mais depuis ce jour là, même si, il essayait de se convaincre du contraire, il savait sa vocation ébranlée.
Il avait mis toutes ses forces intellectuelles pour se persuader du bien fondé de sa volonté de servir Dieu.
En descendant du car à La Clayette, il avait humé l’air et retrouvé un peu de son enfance et adolescence.
Il parcourut à pied les quelques kilomètres qui le séparaient du village. Il entendit la cloche et pressa le pas. Il se sentait léger, et curieusement, à la croisée des chemins de la Combe du Replat, il crut voir Jeanne. Une perdrix s’envola légèrement, sans affolement, et l’image de son amie et lui-même regardant le vol des oies cendrées s’imposa jusqu’à l’arrivée à la ferme.
La nuit descendait, le ciel rose annonçait le vent. L’air était doux et parfumé, un mélange de genêts et de terre humide.
Les deux tilleuls, à l’entrée de la ferme, en fleurs, exhalaient avec puissance leur odorante présence.
Il respira à fond et se sentit étrangement serein.