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 Point kilométrique 66 (première partie )

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bernard augendre




Nombre de messages : 135
Localisation : Nevers
Date d'inscription : 23/03/2006

Point kilométrique  66    (première partie ) Empty
MessageSujet: Point kilométrique 66 (première partie )   Point kilométrique  66    (première partie ) Icon_minitimeVen 29 Juin - 6:44

Heureusement , la nuit est douce. Le printemps arrive en catimini et je peux entendre les grues qui trompettent haut dans le ciel noir piqué d’étoiles. Un ruisseau s’écoule non loin de là dans un pré en contrebas. Sans la faible luminosité de la lampe, je serais dans l’obscurité totale. Le diesel est arrêté. Le floc-floc des hydrocarbures dans les wagons citernes tout juste immobilisés me rappelle la présence du train. Seuls les sons me permettent de cerner la réalité. Je suis descendu sur la piste et là j’ai pu observer l’étendue du problème. Etendue est le mot approprié : une mare d’huile d’un mètre de diamètre souille le ballast sous la locomotive. Une canalisation a dû exploser. C’est cuit, je ne repartirai pas. Je dois aviser par radio le régulateur.



--- Oui, un arrêt moteur… j’ai roulé sur l’erre le plus loin possible … je n’ai pas pu atteindre la gare d’Avord … je suis arrêté au point kilométrique 250,2… dépannage impossible, j’ai de l’huile partout dans le compartiment moteur et même sous la loc … je te fais une demande de secours… A toi…
--- Ok… dépannage impossible, tu fais une demande de secours … je te préviens, ça risque d’être long, je n’ai personne sous la main pour l’instant … A toi …
--- Bien reçu, régulateur, je vais patienter, je n’ai pas vraiment le choix … Allons-y, je te dicte ma demande de secours : « Conducteur du train 57421 … »

0 h 45. Seulement quinze minutes se sont écoulées depuis l’arrêt du train, la nuit promet d’être longue. Je remonte le col de ma veste pour me garder un peu de la fraîcheur de la nuit. J’essaie de m’installer plus confortablement sur ce maudit siège qui me casse le dos et je ferme les yeux pour peut-être trouver un peu le sommeil. Difficile quand le cerveau tourne à plein régime et qu’on s’est bien préparé à passer la nuit sans coup de barre. Je laisse aller mes pensées loin dans mon passé de conducteur, dans les souvenirs de ce métier à part où tout peut arriver.



Comment Colette pouvait-elle encore faire face ? Comment encore se battre ? Le gris n’avait que trop duré, il envahissait tout, il absorbait tout. La douleur lui pétrissait le ventre, certains jours elle en avait la respiration bloquée. Qui pouvait l’aider, qui pouvait encore lui parler sans la critiquer, sans lui dire de se bouger, de se ressaisir ? Parfois même, elle en venait à se dire qu’on la pensait menteuse, paresseuse, qu’on la croyait manipulatrice cherchant trop l’attention et la pitié de quelqu’un. Une dépressive imaginaire en quelque sorte. Elle finissait par le penser également. Peut-être avaient-ils tous raison ? Une maladie mentale est tellement subtile, perfide, sournoise. Seul son époux la comprenait, l’écoutait. Il y avait si longtemps qu’il était parti maintenant. Elle n’était plus sûre de rien, pas plus certaine des sentiments qu’elle lui prêtait. Elle pensait toujours tout inventer, le mépris, la haine, l’amour, tout n’était que vaines affabulations de son esprit malade. Et bien entendu, le suicide de son pauvre époux venait confirmer ses impressions. Comment aurait-il pu continuer à supporter quelqu’un comme elle ? Oh non, on ne divorce pas dans cette famille et à cet âge, on reste uni pour le pire jusqu’à la mort, et quand par malheur elle n’arrive pas assez tôt, on force le destin en devenant alcoolique, en s’enfuyant à la pêche des journées entières par les temps les plus glacials ou … en se promenant trop prés des voies ferrées. Bien sûr, bien sûr que c’était un accident, bien sûr que jamais il n’avait voulu en finir. Mais comment en être convaincu aujourd’hui, après tout ce temps, cette douleur, et ce gris qui abolit tout, qui salit tout, même les souvenirs les plus doux…



Tout peut arriver sur les rails. Personne ne vous en parle les premiers jours et on survole le sujet durant la formation. Il est vrai que l’on apprend très vite… Les trains de céréales, par exemple, sèment des milliers de graines qui attirent des centaines de volatiles. Quand par malheur on pénètre à vitesse élevée dans ce genre de nuage vivant, la locomotive en ressort bien souvent criblée d’impacts sanguinolents d’oiseaux morts.
Tout peut arriver sur les rails. On tue toutes sortes de bêtes, sauvages ou domestiques : lapins, blaireaux , renards, chevreuils, biches, sangliers, chiens , chats, veaux , vaches, moutons… de tout, de toutes les façons. On a même vu un pauvre chien se faire culbuter sans qu’il s’en aperçoive, tout occupé qu’il était à dévorer un de ces semblables tué quelques minutes plus tôt.
Ce massacre ordinaire se banalise très vite. Mais hélas, il arrive aussi que l’on tue des gens, ce qu’on appelle plus délicatement dans les textes réglementaires du métier : « des accidents de personnes ». Une voiture qui cale sur un passage à niveaux qui se ferme : en général le conducteur de ce véhicule essaie de redémarrer sans savoir que c’est le train qui a déclenché automatiquement la fermeture des barrières et qu’il fonce sur lui à trop grande vitesse pour pouvoir stopper. Quinze secondes plus tard, dans le pire des cas, n’ayant pas eu la présence d’esprit d’évacuer, ce pauvre automobiliste est mort, écrasé … Il ne sauve rien, ni cette saloperie de bagnole, ni ces sales petites choses auxquelles il tenait tant, ni femme, ni enfants, ni amis, ni sa propre vie … Rien …
Des accidents de personnes de toute nature. Du cheminot pourtant bien rodé à toutes types de situations mais qui manque de vigilance quelque fatale seconde, du chasseur obsédé par la traque de son gibier, de ces jeunes inconscients qui voulant s’éviter un petit détour traversent les voies aux endroits les plus dangereux, de cet enfant qui coure après son chien, de l’adolescent motorisé qui slalome les deux demi-barrières d’un passage à niveau, de ce vieux monsieur qui ramasse méticuleusement les bûches tombées de sa petite remorque au franchissement de ce même inoffensif croisement de route et de rails, et cet autre jeune qui le traverse insouciant un baladeur sur les oreilles, l’esprit déjà bien loin de ce monde. Toutes ces histoires sont malheureusement bien réelles et leurs issues souvent fatales.
Et puis évidemment, il y a les suicides, ces accidents de personnes volontaires, ces désespérés qui nous choisissent pour assister à leur ultime rendez-vous, tous ces malheureux qui hantent bien longtemps après les nuits de tant de mes collègues .




Juliette attend son amour. Elle se sent si belle, si nimbée de sa jeunesse brûlante. Elle désire plus que tout aujourd’hui déchirer ce voile de rêve et accéder enfin à cette merveilleuse réalité. Finie la romance, vivre, vivre, chaque jour, chaque nuit, l’amour avec lui. Oui, oui, dira t-elle, si on l’interroge, si on la sermonne, tout est arrivé si vite, tout est si neuf. Et alors ? ? Elle si jeune encore, et lui de quinze ans son aîné, et alors ?? Et alors ?? S’ils s’aiment ? Que peut-on faire contre ça ? Qui y a-t-il de plus fort que l’amour ? Juliette attend. Elle attend son amant d’un soir. Il lui a promis qu’il viendrait ce soir pour la tenir dans ses bras, la caresser, lui sourire, l’embrasser. Il lui a dit qu’ils auraient tout leur temps. Elle le croit, elle l’aime tant. Elle l’attend.
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